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L’Etat social : un concept « fourre-tout » et une réalité complexe

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Article de Abdeslam Seddiki, économiste et homme politique marocain.

Le concept d’Etat social est apparu dans le lexique politique au XIXème siècle dans un contexte bien particulier. Il revient, en effet, de Bismarck pour qui la mise en place d’une protection sociale était aussi destinée à étouffer l’essor politique du parti social-démocrate alors interdit, et à intégrer le mouvement ouvrier allemand.

Cette définition limitée au départ à la protection sociale a été élargie progressivement pour inclure quatre piliers fondamentaux de l’État social à savoir : la protection sociale, la réglementation des rapports de travail (droit du travail, négociation collective, etc.), les services publics et les politiques économiques (budgétaire, monétaire, commerciale, des revenus, etc.) de soutien à l’activité et à l’emploi.

Ainsi définie, cette notion s’avère beaucoup plus riche et féconde sur le plan analytique que la notion d’Etat providence (ou walfare state chez les Anglo- Saxons). Alors que ce dernier sous tendrait une sorte de charité publique à l’égard d’une population passive, l’Etat social est fondé au contraire sur une approche droits sociaux, lesquels sont obtenus la plupart du temps à la suite des luttes sociales.

Qu’en est-il au Maroc ? La notion de l’Etat social a été largement utilisée par le gouvernement en lui consacrant toute une partie dans son programme. Et depuis lors, elle revient comme un leitmotiv dans la littérature officielle et les interventions publiques. Mais on en parle sans l’avoir défini au préalable du moins d’une façon explicite. Pour nous en tenir au programme gouvernemental, la notion englobe l’instauration d’un revenu minimum de dignité, l’aide aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap, la protection sociale et le développement du capital humain (une école d’égalité des chances, le sport et la culture).

Comme on le voit, nous sommes en face d’un « Etat social à minima » : plus large que la protection sociale, plus réduit que ce que préconise la définition extensive. Le domaine des politiques publiques, l’âme de l’action gouvernementale, est carrément ignoré et écarté de l’Etat social. Ce qui nous fait dire que le pays n’a pas dépassé la logique de l’Etat Providence. C’est une bévue politique de taille.

Qui dit Etat social dit nécessairement élargissement des classes moyennes. En effet, L’État social a généré dans les pays où il s’est développé un accroissement historique massif des couches dites « moyennes », par l’intermédiaire d’une expansion sans précédent des fonctions sociales des États dont celle des monopoles publics. En termes économiques, cela s’est traduit simplement par une nouvelle répartition des richesses produites dans ces pays, qui a créé une dynamique liant intimement le progrès scientifique et technologique, le développement de la formation et la protection sociale, une grande partie du financement de la protection sociale reposant sur les revenus de ces couches moyennes.

Aussi, l’Etat social est foncièrement lié à la démocratie. C’est par la voie démocratique que s’exprime la citoyenneté, se réalise la cohésion sociale et se nouent les compromis sociaux. Trois arguments sont avancés pour appuyer cette thèse : en premier lieu, les démocraties sont plus performantes que les régimes autoritaires pour gérer les conflits ; le deuxième argument est relatif au fait que les démocraties sont mieux placées pour éviter les catastrophes et préserver la vie en cas de situation grave ; le troisième argument fait référence au « rôle constructif » (A. Sen) joué par les démocraties en faveur du développement.

En facilitant la diffusion de l’information et l’organisation de débats publics, les démocraties favorisent la vulgarisation du savoir et la transformation des comportements. Sur ce côté également, on notera avec inquiétude, une certaine fatigue de la démocratie ne serait-ce qu’au niveau de l’absence de débats publics sur les principaux problèmes de notre pays.

Aussi, l’Etat (social) ne doit pas être l’instrument docile des intérêts de la classe dominante, la « béquille » du capital, l’« État des monopoles » ou « le Conseil d’Administration » de la bourgeoisie comme le définissait Marx, il est aussi et tout autant l’expression de la contradiction fondamentale entre la socialisation des forces productives et les rapports de production capitalistes; la socialisation étatique ou publique de la production et de la consommation contient en elle-même les germes d’une contradiction fondamentale avec la logique de l’accumulation privée du capital. Ainsi le concept même de « Sécurité sociale », tel qu’il est formulé par ses promoteurs, implique l’existence d’une banque sociale non marchande qui ne transforme pas les cotisations collectées en capital pour l’accumuler mais, au contraire, les répartit immédiatement auprès des prestataires et des usagers.

La Sécurité sociale constitue donc une forme de dépassement du salariat capitaliste et de la coupure entre le Social et l’Économique, dans la mesure où cette banque sociale non marchande n’investit ni ne spécule sur les cotisations rassemblées. Elle les répartit immédiatement auprès des prestataires, non pas en fonction du travail de chacun, ni même en fonction de sa cotisation (et donc de son revenu), mais suivant une mutualisation des contributions salariales et patronales, s’inscrivant dans la logique d’une solidarisation des risques sociaux.

La protection sociale est, en effet, un pacte fondamental dans les pays civilisés. Elle marque une solidarité entre les actifs et les retraités, entre les bien-portants et les malades, entre les salariés et les chômeurs. Pour accomplir ces fonctions, l’Etat social, nonobstant ses éventuelles affinités, se doit de jouir d’une autonomie relative lui permettant de transcender les intérêts catégoriels divergents.

C’est le sens donné à un Etat fort dans le rapport relatif au Nouveau Modèle de Développement. Un Etat fort doit être d’abord un Etat juste. Un Etat de droit.
Or pas d’Etat de droit sans la mise en œuvre effective du principe de l’égalité des citoyens devant la loi.

On parle énormément de l’égalité des chances, mais en réalité, les choses se passent tout à fait dans le sens contraire. Le scandale du concours d’accès à l’exercice du métier d’avocat en dit long à ce sujet.

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