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Dans le cadre de la lutte contre l’immigration illégale, Bruno Retailleau, ministre français de l’Intérieur, propose d’adopter une « diplomatie migratoire » visant à contraindre des nations comme le Maroc et l’Algérie à reprendre leurs citoyens expulsés, notamment par la renégociation d’accords préexistants. Ce bras de fer, aux enjeux variés, suscite des réflexions chez des chercheuses.
En rencontrant ses homologues européens à Luxembourg, le ministre exprime sa volonté d’« exiger des contreparties » en échange des « aides » fournies à certains pays, en particulier pour obtenir davantage de laissez-passer consulaires, essentiels pour renvoyer des étrangers en situation irrégulière en France. Retailleau a évoqué la possibilité de renégocier des accords commerciaux permettant à certains pays de bénéficier de préférences tarifaires.
Contrairement aux accords européens, qui ne peuvent être renégociés unilatéralement par un État membre, la France a signé plus de soixante accords bilatéraux avec une vingtaine de pays pour gérer les flux migratoires.
Le ministre envisage une révision de l’accord franco-algérien de 1968, qui écarte les Algériens des règles communes en matière d’immigration. Depuis cet accord, les Algériens ne bénéficient pas de cartes de séjour en France, mais seulement de « certificats de résidence » valables d’un à dix ans. Il a par ailleurs insisté sur le besoin de conditionner l’octroi de visas pour le Maroc et l’Algérie à la reprise de leurs ressortissants en situation irrégulière.
D’après les données du ministre, l’Algérie a obtenu 205.853 visas pour seulement 2.191 retours de ses ressortissants, tandis que le Maroc a reçu 238.750 visas en échange de 725 laissez-passer.
Sandra Lavenex, professeure en relations internationales à l’Université de Genève, souligne que la stratégie d’utiliser ces accords internationaux comme levier existe depuis longtemps. Cependant, depuis 2015, dans le contexte de la « crise migratoire », on observe un changement vers des contreparties négatives.
Les accords de reprise des ressortissants étrangers, souvent jugés incitatifs, montrent peu d’efficacité, et aucune étude ne prouve que des mesures de rétorsion soient plus efficaces, comme le souligne Hélène Thiollet, chercheuse au CNRS spécialisée dans les politiques migratoires. En pratique, le retour des étrangers en situation irrégulière se complique, notamment parce que certains individus détruisent leurs documents d’identité. Cela rend la preuve de leur nationalité difficile, compliquant ainsi leur réadmission, même avec un accord commercial en place.
L’acceptation du retour d’une personne contre sa volonté, surtout si celle-ci contribue à subvenir aux besoins de sa famille restée au pays, n'est pas une mesure populaire pour un gouvernement, souligne Lavenex. Pour l’Europe, il est également délicat de trouver une « monnaie d’échange ». Si cette stratégie a été efficace avec certains pays d’Europe de l’Est souhaitant intégrer l’UE, elle bute sur d’autres pays qui ne sont pas candidats.
Les États relient souvent les accords commerciaux à des objectifs de contrôle migratoire, alors qu’ils servent aussi à d’autres fins, comme la conclusion de contrats avec des pays riches en ressources naturelles (gaz, pétrole, minerais) ou des objectifs sécuritaires. Ils permettent notamment de maintenir une présence dans des zones sujettes à des menaces terroristes.
Cependant, l’Europe n’est plus le « partenaire privilégié » qu’elle était autrefois pour ces pays. Certains pays africains, comme le Burkina Faso, le Niger et le Mali, ont récemment pris leurs distances avec la France, affichant des positions de plus en plus hostiles et se tournant vers des alliés comme la Chine et la Russie.
En somme, Thiollet met en garde contre le risque de négocier sur le thème de l’immigration : « Plus cette question est mise en avant par un pays, plus elle confère un pouvoir aux nations extra-européennes dans les négociations », conclut-elle.