L'hypocrisie occidentale continue de déconcerter au lendemain de la catastrophe en Turquie et en Syrie
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L'Union européenne et les États-Unis, mais surtout l'UE, s'efforcent de mobiliser le plus grand nombre d'États contre la Russie de Vladimir Poutine et la guerre en Ukraine, et ils insistent encore plus pour que les Africains et les Arabes condamnent l'invasion russe.
Il n'est certes pas très rassurant de voir un pays envahir son voisin, détruire ses infrastructures et massacrer sa population. Mais pour autant, comment faire cause commune avec une UE qui s'enfonce dans le double standard ?
Lorsqu'il s'agit de soutenir l'Ukraine, par exemple, l'UE a donné à elle seule environ 50 milliards d'euros d'aide humanitaire, financière et militaire au cours de l'année écoulée. Ce montant ne comprend pas l'aide fournie directement par les États membres de l'UE ; il inclut principalement les engagements et les promesses - et quelques actions - en 2022 et ce qui a été annoncé ou promis pour 2023. Les États-Unis, pour leur part, ont jusqu'à présent donné environ 48 milliards de dollars à la cause ukrainienne, dont la moitié sous forme d'équipements militaires.
Et cette tendance est appelée à se poursuivre, elle ne s'arrêtera pas dans les mois et années à venir. Au total, c'est presque un an de PIB ukrainien que la ville de Kyiv a reçu ou recevra d'aide en un an. Quand on aime, on ne compte pas et l'Occident adore l'Ukraine autant qu'il abhorre Poutine. Et c'est là que le double standard apparaît dans toute sa gloire, ou plutôt toute sa laideur. Voyons les montants alloués à d'autres régions du monde, tout aussi touchées par la catastrophe que l'Ukraine, si bien sûr par catastrophe on entend le malheur des hommes.
Commençons par l'Afrique. L'UE a alloué cette année la somme pas très brillante de 181,5 millions d'euros pour l'aide humanitaire en Afrique de l'Ouest et du Centre, soit vingt pays et quelques centaines de millions de personnes. Lors de la COP27, le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a annoncé que "ensemble, l'Union européenne et quatre États membres - la France, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark - fourniront plus d'un milliard d'euros pour soutenir l'adaptation en Afrique" - il voulait dire l'adaptation au changement climatique dont ces pays ne sont pas responsables.
Pour le Yémen, les États-Unis déboursent environ 700 millions de dollars par an et l'UE a alloué 170 millions d'euros en 2022 pour l'aide humanitaire aux populations les plus touchées par ce que les Nations unies ont décrit comme la plus grave catastrophe humanitaire du XXIe siècle.
Le Pakistan a littéralement sombré au milieu des inondations de l'été dernier : 10 % de la superficie totale du pays (2,5 fois la Belgique) a été recouverte par les eaux, près de 2 000 personnes sont mortes, 200 000 maisons ont été détruites, 1,8 million d'hectares de terres agricoles ont été ravagés et pas moins de 30 millions de personnes ont été touchées, endeuillées, sans abri ou financièrement ruinées. Face à l'appel à l'aide du Pakistan, l'Union européenne a "mobilisé" 30 millions d'euros, les États-Unis ont "promis" 100 millions de dollars et la France a proposé des projets de reconstruction (par ses entreprises, bien sûr) pour un montant de 360 millions d'euros et 10 millions supplémentaires pour l'aide d'urgence.
Passons maintenant à la Turquie et à la Syrie, avec ce tremblement de terre qui a déjà tué 40 000 personnes, déplacé des millions de personnes, les rendant inévitablement sans abri, et qui entraînera des milliards de dollars ou d'euros de réparations et de reconstruction. Les Etats-Unis affirment avoir engagé 85 millions pour les deux pays, la Banque mondiale a annoncé 1,78 milliard de dollars pour la seule Turquie, et Antonio Guterres de l'ONU a demandé un fonds "d'urgence" de 400 millions de dollars pour 5 millions de Syriens pendant trois mois.
Faut-il poursuivre cette litanie de chiffres, le décompte de la pluie de dollars sur l'Ukraine et la description de cet océan d'indifférence envers d'autres populations ? Non, rappelons simplement les 100 milliards d'euros ou de dollars en faveur de la seule Ukraine pour s'émerveiller de l'indécence des Occidentaux dans leur politique internationale. Mais l'Ukraine est européenne, "peuplée de blancs, de chrétiens, comme nous" disaient abondamment les analystes de la télévision en Europe au début de la guerre, avant d'être rappelés à un minimum de décence par les critiques non occidentaux.
Mais d'un autre côté, ce même Occident est plein de jugements de valeur sur le respect des droits de l'homme, sur les valeurs morales et la bonne gouvernance à l'égard de ces peuples qui sont aujourd'hui négligés, abandonnés, voire méprisés, si l'on considère les maigres aides allouées pour les sauver des catastrophes humanitaires et naturelles, dont ils ne sont absolument pas responsables.
Comment s'étonner alors de voir le monde regarder la guerre en Europe avec indifférence ? Comment s'étonner de voir les pays d'Afrique et d'Asie montrer si peu d'empressement à condamner l'agressivité russe et la férocité poutinienne parce qu'il s'agit bien d'agressivité et de férocité ?
Le double langage, l'indifférence, la condescendance des Occidentaux, hier et aujourd'hui, se retourne contre eux. Et le plus étonnant, c'est qu'ils s'en étonnent !