Deux projets portés par le Maroc et l’Algérie, dans les tuyaux des années, sont réactivés sur fond de rivalité régionale et d’envolée des prix des hydrocarbures depuis l’invasion de l’Ukraine.
Rivaux régionaux, le Maroc et l’Algérie sont engagés dans deux mégaprojets de gazoduc concurrents les reliant au Nigeria, en ciblant le marché européen, mais dans un contexte où l’Union européenne voudrait se passer du gaz d’ici la fin de la décennie.
Le plus récent est le gazoduc Nigeria-Maroc (NMGP), long d’environ 6 000 km, qui devrait traverser treize pays africains sur la façade atlantique pour acheminer des milliards de mètres cubes de gaz nigérian jusqu’au royaume chérifien. De là, il doit être connecté au Gazoduc Maghreb Europe (GME). Aucune date de début du chantier n’a été fixée : « Le pipeline est en cours de planification. Nous sommes au stade de l’étude de faisabilité », a précisé à l’AFP le ministre nigérian du Pétrole, Timipre Sylva.
L’idée du projet, visant à renforcer les partenariats avec les pays africains, avait été lancée en 2016 par le roi Mohammed VI lors d’une visite à Abuja. Sa relance s’explique par la décision d’Alger – premier exportateur africain de gaz naturel – de mettre fin en 2022 au contrat du GME desservant l’Espagne en gaz algérien via le Maroc, après la rupture des relations diplomatiques avec Rabat.
« Marché gazier mutuellement profitable »
Au-delà, le NMGP s’inscrit dans un contexte géopolitique marqué par l’envolée des prix des hydrocarbures depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La mise en œuvre de ce gazoduc géant, au coût estimé à 23 milliards d’euros, reste toutefois conditionnée à « l’obtention de l’accord des pays par lesquels il passera », a rappelé le ministre nigérian du pétrole.
Fin 2022, Rabat et Abuja ont signé sept protocoles d’accord avec la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie, la Guinée-Bissau, la Guinée, le Sierra Leone, le Ghana, et un autre avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Des ententes qui « confirment l’engagement des parties dans ce projet stratégique », s’est félicité l’Office marocain des hydrocarbures et des mines (ONHYM). Reste à convaincre le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Liberia.
Rabat table sur les énormes réserves du Nigeria pour créer « un marché gazier stable, prévisible et mutuellement profitable » en Afrique, explique à l’AFP le chercheur en géopolitique marocain Jamal Machrouh, soulignant aussi son « intérêt stratégique pour l’Europe ».
Mais des questions émergent au moment où Bruxelles affirme vouloir s’affranchir des énergies fossiles à moyen terme. « Il faut faire le compte quand le gazoduc sera fini. Est-ce qu’on va encore vouloir utiliser des gaz, du méthane ? », s’interrogeait récemment à Rabat le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, soulignant que le Maroc dispose d’un fort potentiel dans des énergies propres comme l’hydrogène, l’éolien et le solaire.
« Vulnérabilité aux attaques djihadistes »
L’accélération de la coopération entre Rabat et Abuja coïncide avec la relance du gazoduc transsaharien (TSGP) devant relier le Nigeria à l’Algérie via le Niger, d’un coût évalué à entre 12 milliards d’euros et 18 milliards d’euros.
En juillet, Alger, Abuja et Niamey ont signé un protocole d’accord pour matérialiser ce gazoduc long de 4 128 km, sans fixer de date de mise en route.
Lancé en 2009, le projet vise aussi à acheminer du gaz nigérian vers le continent européen. Une fois arrivé en Algérie, il devrait y être expédié, notamment via le gazoduc Transmed qui relie déjà les gisements algériens à l’Italie en passant par la Tunisie. « Les études techniques sont en cours », a déclaré le 18 février à Alger le ministre algérien de l’énergie Mohamed Arkab.
Selon l’expert algérien Ahmed Tartar, les trois partenaires sont maintenant « en quête de bailleurs de fonds ». « On peut estimer un délai de deux à trois ans pour la finalisation du projet » qui « répondra à une part importante des besoins futurs de l’Europe », assure à l’AFP M. Tartar, dont le pays est le troisième fournisseur de gaz naturel pour l’Europe.
Un optimisme tempéré par l’analyste Geoff Porter qui souligne la « grande vulnérabilité aux attaques djihadistes » de la zone sahélienne et à l’hostilité « de communautés locales si elles ont la sensation d’être exploitées pour un projet dont elles ne tirent aucun avantage ».
Autre bémol : l’Europe, qui cherche à se libérer du gaz russe, pourrait ne pas accepter « une dépendance forte à un seul fournisseur », qu’il soit algérien ou marocain, selon le chercheur marocain Machrouh.
ML