La Revue Diplomatique, dans son numéro 21, publiée par l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée (IEGA), met en lumière les contours d’une nouvelle puissance régionale que représente le Maroc. Sous le titre évocateur « Le Maroc : les contours d’une nouvelle puissance », cet article explore les diverses dimensions qui permettent au Maroc d’émerger en tant qu’acteur incontournable sur la scène internationale. De sa position géographique stratégique à ses partenariats équilibrés, en passant par sa stratégie de soft power, de diplomatie économique et de coopération sécuritaire, le Maroc est en train de se positionner comme un pays attractif et influent dans la région. Cette montée en puissance revêt une importance cruciale pour répondre aux enjeux géopolitiques croissants et pour façonner un nouvel ordre régional fondé sur la coopération et le développement durable.
Selon Berthe Mélika OBAMA MEWALI, division de la communication du ministère de la Défense du Cameroun, le Maroc a réussi à renforcer sa position diplomatique internationale en adoptant une stratégie basée sur le soft power, notamment depuis l’accession au trône du Roi Mohammed VI en 1999. Le pays a été reconnu comme le pays le plus influent du Maghreb et a obtenu une place de choix en Afrique, se classant troisième sur le continent et 50e au niveau mondial selon le Global Soft Power Index 2023. Le Maroc a su développer des relations solides avec les pays africains, en mettant l’accent sur des partenariats gagnant-gagnant et en favorisant le développement économique et social.
Il a également utilisé le sport, l’environnement, la sécurité et la religion comme des vecteurs de son soft power. Le Maroc a réintégré l’Union africaine en 2017 après une absence de 33 ans, renforçant ainsi son engagement envers le continent. Le pays a également joué un rôle actif dans les opérations de maintien de la paix en Afrique, contribué à la lutte contre le terrorisme et aidé les pays africains confrontés à des crises humanitaires. Pour consolider sa position régionale, le Maroc doit continuer à diversifier son économie, promouvoir le secteur privé, renforcer son intégration régionale en Afrique et revoir son modèle de développement pour répondre aux défis économiques mondiaux.
Jean KOFFI N’DRI, doctorant en droit public et sciences politique à l’Université Mohamed V Agdal-Rabat, Maroc, a présenté une analyse de la politique étrangère du Maroc face aux défis du XXIe siècle. Le Maroc a développé plusieurs stratégies et priorités pour renforcer ses relations diplomatiques et répondre aux enjeux géopolitiques, économiques et sociaux actuels.
Le Maroc accorde une grande importance à la stabilité et à la sécurité régionales. Il cherche à renforcer la coopération avec les pays africains voisins pour faire face aux défis communs tels que le terrorisme, l’immigration illégale et la criminalité transnationale. Le pays s’engage également dans des forums internationaux tels que les Nations Unies, l’Union africaine et la Ligue arabe.
La politique étrangère marocaine met l’accent sur le développement économique et social, ainsi que sur la promotion des droits de l’homme et de la démocratie. Le Maroc cherche à consolider ses relations économiques avec les pays européens, du Golfe et à augmenter sa présence en Afrique en renforçant la coopération économique et commerciale et en encourageant les investissements étrangers.
Le conflit du Sahara marocain reste l’un des sujets importants de la politique étrangère marocaine. Le Maroc défend sa position sur le Sahara marocain et participe activement aux négociations menées sous l’égide de l’ONU pour parvenir à une solution politique juste et durable.
Pour atteindre ses objectifs, le Maroc met en œuvre plusieurs moyens, notamment la diplomatie économique pour attirer les investissements étrangers, la coopération régionale avec les pays voisins et les organisations régionales, la diplomatie culturelle pour promouvoir la culture marocaine à l’étranger, la diplomatie climatique pour lutter contre le changement climatique et la question migratoire.
En conclusion, la politique étrangère marocaine a évolué pour répondre aux défis du XXIe siècle. Le Maroc diversifie ses partenariats, renforce la coopération régionale, promeut sa culture, agit pour lutter contre le changement climatique et gère la question migratoire.
Dans son analyse, le Professeur Younés Zakkari de l’Université Mohammed V à Rabat met en avant plusieurs points importants concernant la politique africaine du Maroc, elle est basée sur une stratégie de coopération Sud-Sud, mettant l’accent sur le partenariat économique, politique et stratégique avec les pays du continent. Depuis les années 2000, l’Afrique subsaharienne est devenue une priorité pour le Maroc, qui a développé une véritable stratégie à destination du continent.
Le Maroc entretient des relations historiques, culturelles et religieuses avec les pays africains, en plus de son engagement solidaire dans la lutte de libération des pays africains. Le pays a également joué un rôle important dans la construction de l’unité africaine en abritant la conférence de Casablanca en 1961.
Le Maroc a renforcé sa politique africaine en annulant la dette des pays africains les moins avancés et en exemptant leurs produits de taxes douanières à l’entrée du pays. La coopération Sud-Sud est au cœur de cette politique, visant à établir un partenariat égalitaire et solidaire avec les pays africains.
Le Maroc a également intensifié ses relations bilatérales avec les pays africains en concluant plus de 1000 accords dans divers domaines tels que le commerce, la double imposition et la protection des investissements. Le pays a accueilli de nombreux étudiants africains et a organisé des formations et des stages pour les cadres africains.
Sur le plan continental, le Maroc a réintégré l’Union africaine en 2017, renforçant ainsi sa présence dans l’architecture institutionnelle africaine. Son adhésion à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est également en cours d’examen, ce qui ouvrirait de nouvelles perspectives économiques pour le Maroc.
Le retour du Maroc au sein de l’UA lui a permis de siéger dans les instances panafricaines et de défendre ses intérêts stratégiques, notamment dans la question du Sahara. De plus, la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara a renforcé la position diplomatique du pays.
Dans un entretien, l’analyste Thierry Pairault souligne que la relation sino-marocaine en 2023 présente des échanges commerciaux et des investissements limités. Les chiffres révèlent que les échanges entre les deux pays ne représentent que 0,11% du commerce mondial de la Chine. De plus, les investissements chinois au Maroc sont considérablement bas, avec seulement 10% des investissements réalisés dans les pays du Nord de l’Afrique.
Le chercheur explique que malgré l’initiative des « Nouvelles routes de la soie » lancée par la Chine, le Maroc n’est pas directement inclus dans cette stratégie économique axée sur l’Europe. Néanmoins, certains pays africains, dont le Maroc, ont manifesté leur intérêt pour y participer.
Il est important de noter que la relation sino-marocaine présente une dimension politique, la Chine cherchant à obtenir un soutien politique auprès des pays africains à l’Assemblée générale des Nations unies. Cependant, cela ne signifie pas que les pays africains, y compris le Maroc, sont considérés comme des acteurs stratégiques pour la Chine.
Ainsi, bien que la relation sino-marocaine soit en développement, elle reste marquée par des échanges économiques limités et une asymétrie dans les investissements. Cependant, le Maroc continue de chercher à renforcer sa coopération avec la Chine dans le cadre de son propre développement économique.
Manon CHEMEL, Responsable du département Afrique du Nord, Proche-Orient et Moyen-Orient à l’Institut d’études de géopolitique appliquée (Iega), souligne que depuis la signature de l’accord de normalisation en décembre 2020, la relation entre Israël et le Maroc connaît une coopération sécuritaire et militaire stratégique. Cette normalisation fait suite aux accords d’Abraham initiés par l’administration américaine de Donald Trump, visant à normaliser les relations entre Israël et plusieurs pays arabes.
Bien que les relations entre le Maroc et Israël aient connu des tensions par le passé, une coopération sécuritaire existait déjà dans les années 1990. Cependant, cette coopération avait été interrompue en raison du contexte d’affrontement entre Israéliens et Palestiniens. Malgré cela, des liens persistaient, notamment avec une importante communauté marocaine en Israël.
La reprise diplomatique entre les deux pays s’inscrit dans un processus stratégique. Pour le Maroc, cette normalisation offre des avantages considérables dans la question du Sahara occidental, avec la garantie américaine de soutenir la souveraineté marocaine sur ce territoire. En échange, les États-Unis reconnaissent la « marocanité du Sahara », ce qui constitue un appui significatif pour le Maroc.
Cette normalisation permet également aux deux pays de renforcer leur coopération en matière de sécurité, de défense et de lutte antiterroriste. Depuis la reprise des relations diplomatiques, des accords ont été signés dans différents domaines tels que la coopération politique, l’aviation, la culture et la cyberdéfense. Le Maroc cherche à développer son secteur militaire et de défense en s’appuyant sur l’expertise israélienne, notamment en matière de systèmes de défense anti-aérienne.
Cependant, la question du conflit israélo-palestinien reste une préoccupation pour le Maroc, qui soutient la reprise des négociations pour parvenir à une solution à deux États. Malgré cela, un tournant s’est opéré avec la réélection de Benjamin Netanyahou, qui a formé un gouvernement de droite. Cela pourrait influencer la position du Maroc sur cette question à l’avenir.
Cette relation sécuritaire et militaire entre Israël et le Maroc revêt une importance stratégique pour les deux pays. Ils cherchent à intensifier leur coopération dans ces domaines et à développer des partenariats mutuellement bénéfiques. Il reste à voir si d’autres pays arabes rejoindront cette normalisation à l’avenir.
François Xavier NOAH EDZIMBI, PhD en science politique, CEO du cabinet LUCEM GLOBAL CONSULTING S.A.R.L, a mis l’accent sur la stratégie de « sport power » du Maroc en tant qu’outil de diplomatie d’influence.Le Maroc utilise le sport comme outil de diplomatie d’influence pour diversifier son économie, renforcer ses relations internationales et promouvoir son image. La stratégie de « sport power » du pays englobe différents domaines tels que la politique, l’économie, les médias, le tourisme et la culture.
Le gouvernement marocain a adopté une stratégie nationale du sport en 2008 pour promouvoir le sport en tant que droit fondamental, améliorer les performances sportives et développer l’économie du sport.
Le Maroc a réalisé d’importantes avancées dans le secteur sportif grâce à sa Stratégie nationale du sport 2008-2020 et à l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH). L’INDH a joué un rôle crucial en soutenant le secteur sportif à travers le financement de projets tels que la construction de salles de sport, de maisons de jeunes, de terrains de proximité et d’espaces sportifs. Dans sa troisième phase (2019-2023), l’INDH prévoit deux nouveaux programmes axés sur l’inclusion économique des jeunes et l’impulsion du capital humain, dans lesquels le sport occupe une place importante. Ces initiatives démontrent l’engagement du Maroc à utiliser le sport comme un moyen de développement socio-économique et d’inclusion sociale.
Le Maroc accueille des compétitions sportives majeures pour promouvoir son image et renforcer sa position mondiale. L’économie du sport joue un rôle important dans le pays, contribuant au PIB et à l’emploi. Le Maroc utilise également le sport pour promouvoir l’inclusion sociale, encourager la participation des femmes et véhiculer des valeurs telles que l’égalité et le respect des règles. En conclusion, le Maroc considère le sport comme un levier essentiel pour le développement économique, l’influence diplomatique et la promotion des valeurs sociétales.
Selon Antoine LEBRET Analyse au sein du département Afrique du Nord, Proche-Orient et Moyen-Orient de l’Institut d’études de géopolitique appliquée (Iega), Le Maroc entretient une relation avec sa diaspora, mais celle-ci est principalement axée sur des aspects économiques plutôt que politiques. Les Marocains résidant à l’étranger (MRE) jouent un rôle important dans l’économie du pays grâce aux transferts monétaires qu’ils envoient, représentant une part significative du PIB. Cependant, la relation entre Rabat et les communautés marocaines à l’étranger est souvent considérée comme limitée et incomplète sur le plan politique.
Bien que le Maroc ait pu chercher à s’assurer le soutien de certaines élites marocaines à l’étranger pour servir de relais politiques sur des questions stratégiques, leur contribution réelle à une démarche d’influence politique reste difficile à évaluer. Ces élites bénéficient parfois de privilèges de la part du royaume, mais leur impact sur des sujets politiques spécifiques est souvent individualisé.
Par ailleurs, les communautés marocaines à l’étranger, en particulier en Europe, se sont mobilisées autour de thématiques liées à l’intégration et aux droits sociaux dans leurs pays d’accueil, plutôt que de s’impliquer activement dans des questions politiques internationales. Les enjeux tels que le développement, les droits sociaux et humains, la justice et l’égalité sont mis en avant par ces communautés, tant dans leurs pays d’accueil que dans leur relation avec le Maroc.
Dans l’ensemble, la relation politique entre le Maroc et sa diaspora reste complexe et manque d’un volet global et homogène. Si le Maroc a pu poursuivre une politique d’influence envers certaines figures émergentes d’origine marocaine à l’étranger, la mobilisation politique des communautés marocaines à l’étranger est davantage axée sur des enjeux nationaux et locaux dans leurs pays de résidence.
Le Maroc joue un rôle actif dans la mise en place d’un centre d’excellence en matière de risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), souligne Col(r) Claude LEFEBVRE Expert en technologies de défense NRBC, chercheur associé à l’Institut d’études de géopolitique appliquée(Iega). Dans le cadre de l’initiative des centres d’excellence de l’Union européenne, le Maroc a inauguré en 2022 le Bureau régional de prévention des risques NRBC pour les pays riverains de la façade atlantique de l’Afrique. Ce bureau régional a pour mission de coordonner les activités liées à cette initiative et de travailler en collaboration avec les pays associés, les donateurs et les organisations internationales.
L’initiative des centres d’excellence NRBC vise à développer une approche commune de la prévention des risques NRBC et à structurer l’assistance technique de l’UE dans ce domaine. Le Maroc estime que ce centre sera un mécanisme flexible et volontaire pour faciliter l’échange d’informations, d’expertises et de bonnes pratiques entre les pays de la même région.
Parallèlement, le Maroc et les États-Unis ont conclu un accord pour des exercices de formation dans la lutte contre les menaces NRBC. Les Forces armées royales du Maroc sont reconnues comme un leader régional dans ce domaine et sont capables de faire face aux menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques, que ce soit en cas de prolifération des armes de destruction massive, d’accidents industriels ou de catastrophes naturelles.
Le Maroc affiche ainsi sa volonté de se doter de moyens adaptés et performants pour faire face aux événements majeurs liés aux risques NRBC, qu’ils soient d’origine accidentelle ou malveillante. Le centre d’excellence NRBC contribuera à la formation des pays de la région de la façade atlantique de l’Afrique dans ce domaine.
En conclusion, le Maroc émerge en tant que nouvelle puissance régionale, capitalisant sur sa position géographique stratégique et en développant des partenariats équilibrés. Le pays utilise des stratégies telles que le soft power, la diplomatie économique, le sport power et la coopération sécuritaire pour renforcer sa position sur la scène internationale. Le Maroc promeut la paix, la stabilité régionale et se positionne comme un acteur clé dans la résolution des crises. Sa montée en puissance est essentielle pour faire face aux enjeux géopolitiques croissants et pour répondre aux aspirations de développement de la région. Le Maroc affiche une volonté claire de transformer les défis en opportunités, contribuant ainsi à façonner un nouvel ordre régional fondé sur la coopération et le développement durable.
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