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Lettre ouverte à Le Monde : le Maroc n’est pas en fin de règne, mais en chantier

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Lettre ouverte au journal Le Monde

À propos de « Au Maroc, une atmosphère de fin de règne pour Mohammed VI » (24 août 2025)
Par Fouad El Mazouni

Monsieur le Directeur,

Je vous écris avec la colère froide d’un lecteur qui aime la nuance autant que son pays. Votre article du 24 août, présenté comme reportage et construit comme un pamphlet de café du commerce, relève moins de l’enquête que du feuilleton d’angoisse : on y voit des ombres, on y insinue des maladies, on y empile des “on-dit” en guise de preuves. Le Maroc, lui, n’a pas la mémoire courte. Il sait reconnaître l’odeur rance des rumeurs quand elles se déguisent en « atmosphère ». Et moi, lecteur offensé, je vous le dis net : traiter une nation vivante comme un décor de “fin de règne”, c’est l’insulter. 

Vous prétendez “prendre le pouls” d’un pays en vous fiant à des murmures. Or le pouls, on le mesure sur l’artère, pas sur la rumeur. Prenez, par exemple, les faits têtus : un réseau ferré à grande vitesse — premier du continent — mis en service en 2018, confirmé, étendu, industrialisé, et relancé au printemps 2025 par un plan de 96 milliards de dirhams pour la ligne Kénitra–Marrakech, avec des rames à 320 km/h et des temps de parcours divisés par deux. Voilà du réel, pas du “ressenti”.   

Regardez vers le nord : Tanger Med, jadis pari audacieux sur un cap venteux, devenu place forte méditerranéenne et africaine, 10,24 millions d’EVP traités en 2024, 17ᵉ port mondial selon les classements de la profession. On n’improvise pas cela avec des fantasmes ; on le construit avec une vision, des grues et des équipages.   

Le soleil, que vous reléguez aux cartes postales, a fini par travailler en uniforme : la plateforme Noor Ouarzazate — 580 MW à terme, des phases CSP et photovoltaïques pionnières au Maghreb — n’est pas un slogan, c’est une centrale. Et elle a été pensée, financée, opérée, longtemps, patiemment.   

Vous parlez de “repli”, nous voyons un pays qui a réintégré l’Union africaine, recomposé ses réseaux, multiplié les chantiers de diplomatie économique et culturelle — un mouvement engagé, conduit, assumé. La géopolitique a aussi ses archives.  

Vous laissez entendre la fatigue d’un État ; nous constatons la vigueur d’une société qui répare en se relevant. Après le séisme de septembre 2023, le Maroc a adopté un programme pluriannuel de 120 milliards de dirhams pour reconstruire, désenclaver, remailler les services. On peut débattre du rythme — c’est légitime, et des médias sérieux l’ont fait —, mais nier l’effort national, c’est travestir le réel.  

Vous évoquez, d’un ton funèbre, la “paralysie”. Nous voyons une stratégie, parfois trop silencieuse pour vos colonnes, qui articule infrastructures, industrie et capital humain : Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) lancée en 2005 et toujours active sur le terrain des inégalités ; essor de la filière automobile (Tangier–Kénitra) qui bouscule les statistiques 2024-2025 ; montée en gamme académique avec l’UM6P classée dans le Top 500 du Times Higher Education. Cela s’appelle des politiques publiques suivies d’effets.    

Vous insinuez l’isolement ; l’actualité récente dit l’inverse : co-organisation confirmée du Mondial 2030 avec l’Espagne et le Portugal, catalyseur d’investissements dans la mobilité, l’hôtellerie, la sécurité, la culture ; relance ferroviaire adossée à des commandes internationales ; normalisation diplomatique avec Paris sur le dossier du Sahara, que vous savez si sensible, mais que vous n’éclairez jamais autrement que par des clichés.   

Je ne vous demande pas d’aimer. J’exige de vous le minimum : la vérification. Oui, le Maroc a ses lenteurs, ses angles morts, ses colères, ses urgences sociales. Oui, la reconstruction post-séisme a connu des retards, des familles l’ont crié — et elles ont raison. Le journalisme, le vrai, nomme aussi ces manques. Mais il ne confond pas les critiques nécessaires avec la fresque apocalyptique. 

Quant au Roi — puisque votre article prétend lire dans sa santé et prophétiser son règne —, jugez-le à l’aune des chantiers : TGV Al Boraq (2018) et son extension (2030), Tanger Med au rang des hubs globaux, politique migratoire de régularisation inédite sur le continent (2014-2017), diplomatie africaine assumée, transition énergétique, université de rang international, sans oublier la préparation d’un Mondial historique. Voilà des lignes qui engagent un pays au-delà des cycles médiatiques.        

Je n’idéalise pas. Je refuse l’insulte. Votre papier, en posant un diagnostic de “fin de règne” sur la base d’images choisies et de confidences anonymes, nie l’expérience quotidienne de millions de Marocains qui travaillent, inventent, voyagent désormais en 2 h 10 entre Tanger et Casablanca, voient des conteneurs filer vers le monde, et espèrent — lucidement — que l’État accélère là où il tarde. Le Maroc n’est pas un conte pour touristes ; c’est une nation en travaux. Et la décence journalistique voudrait que vous reconnaissiez, au moins, les poutres maîtresses avant de déclarer la maison branlante.  

Alors, oui, je suis offensé. Offensé que l’on insulte un peuple par paresse d’enquête. Offensé qu’on prenne les lecteurs pour des crédules quand les chiffres, les ports, les rails, les centrales, les classements, les congrès internationaux racontent une autre histoire — plus complexe, plus rude, plus intéressante. Offensé mais pas résigné : je vous invite à revenir, à sortir des salons, à prendre le train, à interroger autant les ingénieurs que les sinistrés, à pousser la porte d’un chantier, d’une usine, d’une mairie, d’un amphithéâtre. Vous verrez que le Maroc n’a pas “fin de règne” ; il a, comme toute démocratie en devenir, fin de patience pour les caricatures.

Recevez, Monsieur le Directeur, l’assurance de ma vigilance — et de ma confiance tenace dans le journalisme quand il se souvient d’être une enquête et non une atmosphère.

Un lecteur marocain, blessé mais précis.

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