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Diaspora kabyle : fierté en France, méfiance en Algérie

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Dans une enquête publiée par Le Point (n° 2768, 14 août 2025), le journaliste Farid Alilat met en lumière le quotidien contrasté des Franco-Kabyles : une communauté qui affirme hautement son identité culturelle en France, mais qui reste hantée par la crainte d’être associée au MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie), classé organisation terroriste par Alger depuis 2021.

Une identité surveillée

Depuis cette date, nombre de Kabyles installés en France redoutent d’être soupçonnés de sympathie séparatiste, même lorsqu’ils participent à des manifestations pacifiques ou à des événements culturels.
« On a peur d’être catalogués militants du MAK juste pour avoir marché entre République et Bastille », confie Akli, cadre à la RATP et militant associatif.

La peur dépasse les frontières françaises : certains évitent désormais de se rendre en Algérie. Lynda, consultante du Val-de-Marne, raconte avoir été interrogée à l’aéroport : « Ils sont capables de m’arrêter ou de m’interdire de sortir du pays. » Elle a finalement renoncé à son voyage d’été.

Pour beaucoup, le simple fait d’arborer un drapeau amazigh ou de publier un message sur les réseaux sociaux peut devenir un risque. Jugurtha, de l’Association des jeunes kabyles de France, évoque une stratégie de prudence : « Avant, on brandissait uniquement le drapeau kabyle. Aujourd’hui, on ajoute des drapeaux algériens ou palestiniens pour prouver qu’on n’a aucun lien avec le MAK. »

La ferveur culturelle comme résistance

Malgré ces menaces, la vie culturelle kabyle en France reste vibrante. Le 6 juillet dernier, plusieurs centaines de personnes se sont retrouvées au gymnase Jean-Jaurès, à Paris, pour rendre hommage au chanteur Matoub Lounès, assassiné en 1998. Drapés de bleu, vert et jaune, les participants ont fait résonner chants et youyous, sous une banderole proclamant : « Assa azeqqa, Matoub yella yella » (Aujourd’hui comme demain, Matoub est et sera).

François Dagnaud, maire du 19ᵉ arrondissement, a profité de la cérémonie pour annoncer la création prochaine d’un centre culturel franco-berbère, décision saluée par une ovation. Pour beaucoup, ce geste symbolise une reconnaissance officielle longtemps attendue.

Héritages et transmissions

Au-delà de la mémoire de Matoub, la transmission reste au cœur de l’engagement diasporique. « Je suis kabyle, algérien et français à la fois », résume Akli, père de deux enfants. Dans son foyer, les langues se mêlent et l’identité s’entrelace : « Je fais ici ce que je ne pouvais pas faire en Algérie. »

En 2020, il a cofondé l’Amicale internationale des supporters de la JSK (Jeunesse sportive de Kabylie), club mythique surnommé « les Canaris ». Pour la diaspora, cette équipe dépasse le cadre sportif : « La JSK est le porte-voix de notre identité. » L’association a même financé des déplacements de l’équipe, notamment lors d’une finale africaine au Bénin.

Solidarité au-delà des frontières

La diaspora kabyle s’illustre aussi par ses élans de solidarité. Durant la pandémie de Covid-19, elle a collecté des fonds, avec le soutien de DJ Snake, pour envoyer des concentrateurs d’oxygène. Lors des incendies meurtriers d’août 2021, trois conteneurs de médicaments sont partis de France vers la Kabylie.

Entre crainte et reconnaissance

Pour Lynda, fille d’immigrés installés en 1959, les choses évoluent : « Il y avait une gêne à revendiquer son identité. Ce n’est plus le cas grâce aux associations et à la reconnaissance institutionnelle. » Elle se réjouit de voir Yennayer célébré à Paris et une rue porter le nom de Matoub Lounès. « J’ai planté mes racines comme on plante un olivier », dit-elle.

L’enquête de Le Point dépeint ainsi une communauté prise dans une tension permanente : vibrante et solidaire en France, mais exposée à la suspicion dès qu’elle franchit la Méditerranée. La mémoire de Matoub Lounès reste, pour beaucoup, le repère intangible d’une identité kabyle qui refuse de s’éteindre.

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