En dépit des rappels officiels répétés sur l’illégalité de l’exigence de chèques de garantie dans les cliniques privées au Maroc, cette pratique demeure largement répandue. Une réalité qui interroge sur l’efficacité des mécanismes de contrôle et sur l’application des lois, tout en aggravant la détresse des patients et de leurs proches dans des moments de grande vulnérabilité.
De nombreuses cliniques exigent, en particulier lors d’urgences médicales ou d’interventions chirurgicales, le dépôt d’un chèque de garantie avant toute prise en charge. Les responsables de ces établissements justifient cette exigence par la nécessité de « garantir le paiement » et d’éviter l’impayé.
Or, le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Amine Tahraoui, a rappelé, lors de la séance des questions orales au sein de la Chambre des conseillers le 29 avril 2025, que cette pratique constitue une violation manifeste de la loi. Il a invoqué à cet effet l’article 75 de la loi n°131.13 régissant l’exercice de la médecine, lequel interdit formellement aux cliniques d’exiger tout type de garantie financière ou chèque des patients assurés ou de leurs familles, en dehors des sommes restant effectivement à leur charge.
Le ministre a également indiqué que son département a renforcé les mécanismes de contrôle technique au niveau régional et a mis en place une plateforme numérique – www.chikayasante.ma – dédiée à la réception des plaintes, notamment celles relatives à l’exigence abusive de chèques de garantie.
Bouazza El Kharrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur, qualifie cette exigence de pratique « quasi systématique » dans les cliniques, malgré son illégalité. Il impute sa persistance à l’absence d’une application rigoureuse des lois. Dans les situations d’urgence, souligne-t-il, les patients sont souvent contraints de céder à ce chantage déguisé pour préserver la vie de leurs proches.
Il rappelle par ailleurs que l’article 59 de la loi sur la protection du consommateur rend nul de plein droit tout engagement contracté dans une situation de faiblesse ou d’ignorance, rendant ainsi la demande de chèque de garantie illégitime tant sur le plan juridique qu’éthique.
Il est également essentiel de rappeler que le chèque est un instrument de paiement, non de garantie. L’article 544 du Code pénal criminalise explicitement l’usage du chèque à des fins de garantie et prévoit des peines allant d’un à cinq ans de prison, assorties d’amendes au moins équivalentes à la valeur du chèque.
De surcroît, l’article 316 du Code de commerce sanctionne toute acceptation d’un chèque conditionné à un différé de paiement, par des peines similaires. Les cliniques, selon El Kharrati, exploitent l’ignorance juridique des patients pour contourner les textes et imposer une pression illégale.
Cette dérive transforme le droit à la santé en une transaction commerciale où les patients, s’ils ne peuvent honorer leurs engagements, s’exposent à des poursuites pénales. Certaines cliniques vont jusqu’à exiger la remise de chèques en blanc, signés à l’avance, sous couvert de « garantie administrative », une pratique gravement contraire aux règles encadrant les transactions financières.
Et si de nombreux patients font l’objet de poursuites pour émission de chèques sans provision, une évolution jurisprudentielle semble se dessiner. En 2022, la Cour d’appel de Casablanca a considéré que la remise d’un chèque de garantie dans un contexte de soins hospitaliers constitue un « abus » ne permettant pas de conclure à une intention frauduleuse de la part du patient.
Une question cruciale demeure : pourquoi cette violation manifeste du droit continue-t-elle, malgré la clarté des textes et la sévérité des sanctions prévues ? Et surtout, le ministère sera-t-il en mesure de faire appliquer concrètement les mesures de reddition des comptes pour mettre fin à ce système d’extorsion, opérant au cœur d’institutions censées offrir des soins et non infliger de la souffrance supplémentaire ?