Un matin qui s’éveille dans un silence inhabituel, des rues désertées par le flot quotidien des employés en route vers leurs bureaux, des écoles, des hôpitaux et des administrations à l’arrêt, et des métropoles drapées d’un calme pesant, chargé de tension. À Rabat, notamment, la quasi-totalité des transports publics est paralysée. Le pays tout entier vit au rythme d’un mouvement d’ampleur : la grève générale.
Ce mercredi 5 février 2025, le Maroc connaît une grève nationale initiée par plusieurs centrales syndicales de premier plan. À l’unisson, l’Union marocaine du travail (UMT), la Confédération démocratique du travail (CDT), l’Union nationale du travail au Maroc (UNTM), l’Organisation démocratique du travail (ODT) et la Fédération des syndicats démocratiques (FSD), appuyées par d’autres organisations professionnelles, ont appelé à cette mobilisation lors d’une conférence de presse commune.
Cette grève « d’avertissement » se veut une riposte à l’adoption du controversé projet de loi sur le droit de grève et une dénonciation des politiques gouvernementales jugées « injustes », accusées d’aggraver la précarité et de miner le pouvoir d’achat. Elle s’inscrit dans un contexte de grogne sociale croissante, alimentée par la flambée des prix, l’érosion du revenu des ménages et l’indifférence perçue du gouvernement face aux revendications syndicales.
Durant vingt-quatre heures, l’économie ralentit, les activités s’interrompent et le pays semble suspendu. Mais derrière ce silence apparent, c’est le grondement d’une société qui exprime sa colère à travers cette forme ultime de contestation, longtemps assimilée à une forme de « désobéissance civile ». La grève générale n’est pas une manifestation ordinaire du mécontentement : elle constitue une arme syndicale de dernier recours face à un gouvernement sourd aux revendications des travailleurs.
Contrairement aux grèves sectorielles qui se limitent à un domaine précis — éducation, santé, transport —, la grève générale embrasse l’ensemble des secteurs économiques et administratifs. Elle traduit un état de révolte généralisée et vise à paralyser le pays pour contraindre les autorités à infléchir leurs décisions.
Historiquement, la grève générale a toujours été perçue comme l’un des outils de contestation les plus redoutables. Les syndicats y recourent lorsque le dialogue social s’enlise et que les tensions atteignent un seuil critique, notamment face à la flambée des prix, à la stagnation des salaires ou aux menaces pesant sur les droits fondamentaux, tel que le droit de grève lui-même.
« Cette mobilisation n’est ni une décision isolée, ni une réaction impulsive », affirme la Confédération démocratique du travail (CDT), soulignant qu’il s’agit d’un prolongement d’une lutte syndicale ancrée dans l’histoire du pays. Pour les centrales syndicales, le gouvernement ne cherche pas seulement à encadrer le droit de grève, mais à en restreindre drastiquement l’exercice, ce qui justifie une riposte à la hauteur des enjeux.
Les grèves générales ont marqué des pages sombres de l’histoire sociale marocaine. L’une des plus mémorables demeure celle du 20 juin 1981, connue sous le nom de « l’Intifada de Casablanca ». Face à une crise économique étouffante et une hausse brutale des prix, l’UMT avait lancé un appel à la grève générale. La réponse de l’État fut d’une violence inouïe : la répression fit des dizaines de morts et des centaines d’arrestations, laissant une empreinte indélébile dans la mémoire collective.
Un autre épisode marquant fut celui du 14 décembre 1990, lorsque la ville de Fès fut secouée par des affrontements sanglants, en réaction aux politiques d’austérité imposées par les programmes d’ajustement structurel du FMI. Plus récemment, en octobre 2014, le Maroc a connu une grève générale historique, la première en vingt ans, pour dénoncer les réformes impopulaires des retraites et de la subvention des carburants.
Aujourd’hui, la grève du 5 février 2025 résonne comme un signal d’alarme : une classe ouvrière en quête de justice sociale, un pouvoir d’achat en chute libre, et un gouvernement qui, en légiférant sans concertation, semble ignorer le malaise grandissant d’une population à bout de souffle. Face à cette impasse, la question demeure : le gouvernement cédera-t-il à la pression, ou ce mouvement n’est-il que le prélude à une escalade sociale plus radicale ?