Site indépendant d'actualités

Maroc : La « marchandisation » du système éducatif français préoccupe élus et parents d’élèves

0

Bien que le Maroc héberge le deuxième plus grand réseau d’enseignement français au monde, il est confronté à un problème de budget stagnant malgré une augmentation constante du nombre d’élèves.

« Nos établissements d’enseignement français à l’étranger sont un pilier de notre diplomatie d’influence », tweetait le 3 juillet Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères à l’issue du conseil d’orientation interministériel de l’enseignement français à l’étranger. Selon Le Monde, le propos fait écho à l’objectif, fixé par Emmanuel Macron en mars 2018, de doubler le nombre des inscrits dans les écoles françaises à l’étranger d’ici à 2030. Mais, avec 390 000 élèves en 2022, soit une augmentation de 8 % en cinq ans, l’annonce présidentielle n’a pas produit le résultat escompté. « L’intention était louable, mais les moyens n’y sont pas, regrette Nicolas Arnulf, conseiller élu à Rabat pour la circonscription Afrique du Nord à l’Assemblée des Français de l’étranger. Pour se développer sans dépenser plus, le réseau n’a d’autre choix que de recourir à des groupes éducatifs privés, comme au Maroc. »

Depuis 2018, la subvention annuelle allouée par l’Etat aux établissements d’enseignement français dans le monde a augmenté de 10 %, atteignant 420 millions d’euros en 2022. Au Maroc, cette aide s’élève à 46 millions d’euros, un montant qui n’a pas bougé depuis cinq ans. Le royaume abrite pourtant le deuxième réseau d’enseignement français au monde, après le Liban.

« Les établissements en gestion directe forment la colonne vertébrale du réseau car ils fournissent les enseignants formateurs détachés aux écoles partenaires et portent la politique publique de l’enseignement français à l’étranger. Mais faute de soutien à leur développement ces établissements accueillent une plus faible portion des nouveaux élèves du réseau, explique Karim Ben Cheikh, député (Ecologistes-Nupes) de la 9e circonscription des Français établis hors de France et rapporteur du budget de la diplomatie culturelle et d’influence. En gelant leur développement et en misant sur des établissements à but lucratif pour répondre à la demande, le message véhiculé par le gouvernement est que l’éducation est un marché. »

Au Maroc, ces établissements partenaires appartiennent à une dizaine de groupes privés « suffisamment solides pour ne pas risquer la faillite », précise un officiel français. Il s’agit principalement de la Société Maroc Emirats arabes unis de développement (Somed), propriété de la holding royale Al-Mada et de capitaux émiratis, d’International Education Group (IEG), une alliance entre Saham, fondé par l’ex-ministre de l’économie Moulay Hafid Elalamy, et une holding d’investissement sud-africaine, de la Holding générale d’éducation (Holged), un groupe familial marocain, ou encore d’Odyssey. Le groupe français, présidé par Luc Chatel, ministre de l’éducation sous Nicolas Sarkozy, a ouvert en 2017 l’Ecole française internationale de Casablanca, moyennant un emprunt de près de 10 millions d’euros, selon le magazine Challenges.

Des syndicats d’enseignants dénoncent cependant les conditions de travail « dégradées » des personnels exerçant dans les établissements partenaires. « Ils sont plus soucieux de satisfaire les parents que de répondre aux exigences pédagogiques », observe Emmanuelle Baglin, responsable au Maroc du SNUipp-FSU, principal syndicat des enseignants du premier degré. Bien que le nombre de personnels détachés titulaires du ministère de l’éducation nationale soit encore important, de nombreux postes ont été supprimés ces dernières années.

Les associations de parents d’élèves au Maroc expriment leur mécontentement face à l’austérité budgétaire et à la hausse des frais de scolarité dans les établissements gérés directement. Au cours des dix dernières années, les frais ont augmenté de 70 % au collège et de 55 % au lycée. Les revenus générés par les paiements des familles dépassent désormais l’aide annuelle accordée par l’AEFE. Les familles modestes bénéficient de dispositifs d’aide, mais le montant de ces aides est pratiquement figé depuis cinq ans et seules les familles françaises ou binationales y ont accès. Cependant, plus de 70 % des élèves du réseau sont marocains et ils sont déjà soumis à des droits de scolarité plus élevés. Si une famille ne peut pas payer les frais pour l’année en cours, l’enfant risque de ne pas être scolarisé l’année suivante, ce qui suscite des préoccupations parmi les parents. Certains témoignent avoir reçu des lettres de menace de déscolarisation de leurs enfants en cas de non-paiement des frais.

Des élus et des associations au Maroc expriment leur inquiétude face à la marchandisation croissante du système éducatif français dans le pays. Les frais de scolarité augmentent de manière significative, ce qui pèse sur les familles. Des initiatives sont envisagées, comme augmenter la part reversée à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) par les établissements partenaires ou autoriser les établissements en gestion directe à emprunter. Les parents d’élèves souhaitent que les financements nécessaires ne reposent pas uniquement sur leurs épaules.

Quant au développement du réseau via de nouvelles écoles, il est au point mort. Hormis les demandes d’extension pour des établissements déjà homologués, les autorités marocaines ont suspendu depuis 2020 la délivrance d’homologation à toutes les missions étrangères.

(Avec Le Monde)

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.