Le rappel récent de l’ambassadeur d’Algérie à Paris et la vacance à l’ambassade du Maroc illustrent combien la France peine à calibrer sa politique au Maghreb et à réchauffer durablement ses relations avec Alger et Rabat.
« Le rappel d’un ambassadeur n’est ni un geste banal, ni un geste fréquent », souligne Pierre Vermeren, historien et professeur à l’Université de la Sorbonne.
L’absence des deux ambassadeurs en France est « un signal très ferme adressé à la France sur sa diplomatie », ajoute ce spécialiste du Maroc contemporain et du Maghreb.
La fin de la politique française de restrictions des visas pour le Maghreb, actée en décembre, avait pourtant laissé entrevoir une nouvelle ère dans les relations diplomatiques, en particulier avec le Maroc et l’Algérie, déclare H24info.
La ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, avait elle-même porté un message d’apaisement à Rabat.
Une visite d’Etat d’Emmanuel Macron au Maroc était alors envisagée « au premier trimestre » 2023.
Mais un vote récent du parlement européen condamnant la dégradation de la liberté de la presse au Maroc a profondément irrité Rabat, qui a dénoncé une campagne anti-marocaine « orchestrée » par le parti présidentiel Renaissance à Bruxelles.
« On était en train de sortir d’une crise intense liée à la politique des visas » et « on repart à l’envers » en raison d’une initiative émanant de « proches du président Emmanuel Macron », a déploré Christian Cambon, président du groupe d’amitié France-Maroc au Sénat dans un entretien avec l’AFP.
De fait, le voyage de M. Macron paraît d’autant plus s’éloigner que le royaume chérifien n’a plus d’ambassadeur à Paris et qu’aucun remplaçant n’a été encore désigné.
Pourtant, à l’Elysée, on assure continuer à travailler à la visite du président français au Maroc et on dément toute crise entre les deux pays.
Au Quai d’Orsay, on loue « un partenariat d’exception ».
Au delà de la résolution parlementaire européenne, sont apparues d’autres pommes de discorde: allégations de réseaux et trafic d’influence marocains, soupçons d’espionnage (Pegasus), etc.
Enfin et surtout, Rabat s’impatiente car Paris ne semble pas enclin à bouger les lignes sur l’épineux dossier du Sahara.
« La chose primordiale pour Rabat, qui englobe tout le reste, est que la France reconnaisse la souveraineté marocaine » sur le Sahara, à l’instar des Etats-Unis et de l’Espagne, rappelle Pierre Vermeren.
Pour Zakaria Abouddahab, professeur de relations internationales à l’Université Mohammed V de Rabat, la seule manière de sortir de ce casse-tête diplomatique est de cesser d’apprécier les relations entre le Maroc et la France « à l’aune des rapports avec l’Algérie ».
Mais pour l’heure, c’est une « véritable gageure », reconnaît-il. Rivales régionales, Alger est à couteaux tirés depuis des années avec Rabat malgré les mains tendues de celle-ci.
« Le seul moyen de s’en sortir serait d’avoir une diplomatie européenne mais il n’y en a pas et chaque pays tire la couverture à lui », abonde Pierre Vermeren.
« C’est catastrophique, d’autant que l’on est dans un contexte extraordinaire de crises qui s’enchaînent » depuis un an avec la guerre en Ukraine, met-il en garde.