Maghreb intelligence : Les dessous du troublant rapprochement de l’ONG française Reporters Sans Frontières avec le régime algérien
L’ONG française Reporters sans frontières (RSF) est au centre d’une polémique grave et inédite en Algérie. Son représentant à Alger, le journaliste Khaled Drareni, nommé représentant de RSF en Afrique du Nord depuis avril 2022, a défrayé la chronique le 3 mai, en participant activement à une célébration organisée par les autorités algériennes sous le patronage de la journée algérienne World News Free.
Le président Abdelmajed Tebboun lui-même est considéré comme un « bourreau » de la liberté de la presse et d’expression en Algérie depuis qu’il a pris ses fonctions de chef de l’État algérien fin décembre 2019, avec au moins huit journalistes emprisonnés.
Khaled Drareni, lui-même ancien prisonnier politique et ancien journaliste, a été arrêté avec Abdelmadjid Tebboune en 2020-2021. Emprisonné, mais affiché et immortalisé dans ces images, il a provoqué un malaise généralisé en Algérie. Sur les réseaux sociaux, les Algériens sont choqués par la « conversion » de l’ancien journaliste d’opposition et défenseur de la cause de Chirac.
Khaled Drareni a tenté de désamorcer la polémique en expliquant qu’il avait été « mandaté » par Reporters sans frontières pour remettre une lettre au président Tebboune et faire part de ses inquiétudes quant à la libération de l’homme condamné le 2 avril. Cinq ans de prison pour le journaliste El Kadi Ihsane Conscience de la nécessité. Trois d’entre eux sont éteints.
Mais cet argument n’a pas convaincu les plus sceptiques qu’ils avaient raison car les faits étaient bien différents. En effet, nous avons pu confirmer, par plusieurs sources bien informées à Alger, que la démarche de Khaled Drareni n’était pas uniquement liée à la demande de libération d’El Kadi Ihsane. Ce n’est pas la direction générale de RSF à Paris qui a ressenti le besoin de rencontrer le président algérien Abdelmadjid Tebboune.
En fait, la « main tendue » de RSF au régime algérien est une idée tout droit sortie de l’imagination de Khaled Drareni. C’est ce journaliste qui a convaincu la direction de RSF Paris de lui permettre de les représenter lors de la cérémonie très politisée organisée par le régime algérien le 3 mai. Khaled Drareni subit d’intenses pressions de la part des services de sécurité et du gouvernement algérien pour « accepter un geste de bonne volonté envers le président Tebboune ».
Khaled Drareni est interdit de sortie du territoire national et ne peut pas circuler librement en Algérie. Il est toujours menacé par la justice algérienne de geler les poursuites judiciaires, et son média, la Casbah Tribune, reste bloqué par les autorités algériennes. Cherchant à desserrer son emprise, Khaled Drareni a commencé à négocier avec les cercles puissants au sein des services de sécurité à partir de fin 2022 pour négocier un accord qui lui rendrait une partie de son ancienne liberté. C’est pour cette raison qu’il quitte Radio M, la radio Internet de son ami El Kadi Ihsane, dont il prendra ses distances à l’automne 2022.
Cette stratégie place la RSF dans une position très délicate, car elle est obligée de fermer les yeux sur de nombreuses atrocités graves et autoritaires contre des journalistes algériens, comme l’incarcération du jeune journaliste Mustapha Bendjama le 19 février ou le procès en plusieurs fois de l’affaire. Une dizaine de personnes ont été arrêtées et incarcérées, accusées de fournir des informations classifiées à un « média subversif » que le régime algérien ne tolère pas. Le silence de RSF est vécu à Alger comme une complicité indirecte, illustrant les conséquences malheureuses de ce « jeu dérangeant » avec le dirigeant algérien.