Les coulisses du pouvoir : comment l’ONU a redessiné sa position sur le Sahara en faveur du Maroc ?

À New York, derrière les portes closes du Conseil de sécurité, un compromis s’est scellé au terme de négociations discrètes mais intenses. Le 31 octobre 2025, l’ONU a adopté une résolution décrivant le plan d’autonomie marocain comme « la base la plus sérieuse et la plus crédible » pour résoudre le conflit du Sahara. Ce vote, passé presque inaperçu du grand public, marque pourtant un tournant historique. Cinquante ans après la « Marche verte » de 1975, le Royaume du Maroc voit son projet politique reconnu de facto par la communauté internationale.

Le Sahara est un territoire disputé depuis près d’un demi-siècle. Après le départ de l’Espagne en 1975, le Maroc revendique sa souveraineté sur cette vaste zone désertique, riche en phosphates et dotée d’un littoral stratégique sur l’Atlantique. En face, le Front Polisario -soutenu par l’Algérie- réclame un référendum d’autodétermination, avec l’indépendance comme option.

Depuis le cessez-le-feu de 1991 et la création de la MINURSO, mission onusienne censée organiser ce scrutin, le processus est resté bloqué, pris en otage par les divergences politiques et les équilibres régionaux.

En 2007, Rabat présente à l’ONU un plan ambitieux : offrir au Sahara une large autonomie locale, avec son propre parlement, son exécutif et ses tribunaux, tout en maintenant la souveraineté du royaume sur la défense, la monnaie et les affaires étrangères. Pour le Maroc, cette proposition est une main tendue, une voie médiane entre indépendance et intégration complète.

Le Roi Mohammed VI en a fait, depuis deux décennies, le pilier de sa diplomatie. Des décennies de lobbying, de voyages royaux en Afrique, d’accords économiques et de rapprochements stratégiques  notamment avec Washington, Londres, Paris et Bruxelles; ont fini par porter leurs fruits.

Dans les couloirs feutrés des Nations unies, la diplomatie marocaine s’est activée avec méthode. Des délégations ont multiplié les rencontres bilatérales, convaincu des États hésitants, et surtout capitalisé sur le soutien croissant de grandes puissances.

Les États-Unis avaient ouvert la voie en 2020 en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara en échange de la normalisation avec Israel. La France a suivi, parlant d’un plan « sérieux et crédible ». Le Royaume-Uni a rallié cette position en juin 2025, suivi de la Belgique, des Pays-Bas, et de plusieurs pays africains et arabes.

Dans les coulisses, selon plusieurs diplomates, Rabat a habilement joué la carte du partenariat économique et de la stabilité régionale : investissements dans les provinces du Sud, coopération antiterroriste, transition énergétique et contrôle migratoire. Les Marocains ont su convaincre que leur plan servait aussi la sécurité internationale, confie un membre du Conseil sous couvert d’anonymat.

La résolution adoptée fin octobre ne consacre pas formellement la souveraineté marocaine sur le Sahara, mais son langage change tout : elle invite les parties à « reprendre les négociations sur la base du plan d’autonomie marocain ».

Autrement dit, l’ONU fait désormais du projet de Rabat le point de départ officiel de tout futur processus.
C’est un basculement sémantique majeur : l’autodétermination, jadis au cœur du mandat onusien, n’est plus explicitement mise en avant.

L’abstention de la Russie et la prudence de la Chine traduisent une volonté d’éviter l’escalade avec l’Algérie, qui dénonce un « reniement du droit international ». Mais pour le Maroc, le symbole est immense : le monde valide son approche pragmatique.

À Rabat, le ton est triomphal. Les drapeaux marocains flottent à Laâyoune et Dakhla, où les autorités parlent d’une « victoire de la paix et de la raison ». Le roi Mohammed VI salue « le courage des nations amies » et appelle à « tourner la page du séparatisme ».

Le Front Polisario, lui, rejette toute négociation fondée sur le plan marocain : « C’est une tentative de légitimer l’occupation », déclare son représentant à Alger. L’Algérie, principal soutien du mouvement, dénonce « une résolution déséquilibrée, arrachée sous pression ». Dans les chancelleries occidentales, la réaction est plus mesurée : on salue « un pas vers le réalisme », tout en rappelant que le processus doit « respecter les aspirations du peuple sahraoui ».

Sous la rhétorique diplomatique, les enjeux économiques sont considérables. Les provinces du Sud abritent d’immenses réserves de phosphate, des ressources halieutiques, et servent de hub vers l’Afrique subsaharienne. Dakhla devient un pôle portuaire et touristique majeur. De plus, la stabilité du Sahara est perçue comme essentielle à la sécurité du Sahel, miné par le terrorisme et les trafics. « Ce conflit dépasse la question du peuple sahraoui, c’est une bataille d’influence au Maghreb », analyse un chercheur marocain.

Cette dimension énergétique et géostratégique pèse lourd : les partenaires occidentaux voient dans le Maroc un allié fiable, stable, et tourné vers la modernité. Pourtant, tout n’est pas joué. Le plan d’autonomie n’a de valeur que s’il se traduit par une gouvernance réelle et démocratique. Qui garantira la liberté d’expression, la représentativité des Sahraouis, la transparence électorale ?

Sur le terrain, certains habitants du Sahara expriment encore leur scepticisme, craignant que l’autonomie ne soit qu’une façade. Le Polisario, marginalisé mais pas disparu, menace de reprendre la lutte armée. Quant à la MINURSO, son mandat reste flou, reconduit d’année en année sans horizon clair.
Entre promesse et réalité, le chemin reste long.

L’appui onusien au plan marocain isole davantage l’Algérie, dont les relations avec Rabat sont déjà rompues. Ce basculement diplomatique pourrait redessiner les équilibres régionaux : le Maroc consolide son rôle de puissance pivot entre l’Europe et l’Afrique, tandis qu’Alger voit son influence reculer.
Pour certains observateurs, c’est aussi une victoire du pragmatisme sur le dogmatisme, un signe que la realpolitik triomphe à l’ONU.

Dans les coulisses du pouvoir, le Maroc a gagné une bataille diplomatique, mais non la guerre du récit.
Le soutien de l’ONU au plan d’autonomie est une étape — pas une fin. Pour transformer ce succès politique en solution durable, Rabat devra prouver que son projet n’est pas seulement une revendication souveraine, mais un véritable cadre d’émancipation pour les Sahraouis. C’est à cette condition, et seulement à celle-là, que la paix pourra sortir des coulisses pour s’installer durablement sur la scène du Sahara.

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