Au cœur des vives controverses suscitées par le projet de loi réglementant l’exercice du droit de grève, et à la veille d’un appel à une grève nationale le mercredi 5 janvier 2025 en protestation contre ses dispositions, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a publié un mémorandum émettant une série d’observations et de recommandations. Il y affirme que le droit de grève, en tant que droit constitutionnel, ne saurait être restreint que de manière exceptionnelle, dans les limites des principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité, conformément aux standards internationaux et aux engagements onusiens en la matière.
Sur le plan formel, le Conseil déplore l’absence d’un préambule dans le projet de loi, soulignant qu’un tel élément est essentiel pour en comprendre les motivations, en clarifier les objectifs et situer son adoption dans un cadre historique et social cohérent. Il permettrait ainsi d’expliciter l’intention du législateur et d’en faciliter l’interprétation. Le CNDH recommande donc l’insertion d’un préambule ou d’un article introductif exposant les principes fondamentaux qui encadrent l’exercice du droit de grève, avec une mise en exergue de la liberté syndicale, de l’équilibre entre droits et obligations des différentes parties et de la continuité du service public.
Sur le fond, le Conseil propose d’élargir la définition du droit de grève pour inclure la défense des intérêts moraux et professionnels, individuels et collectifs des travailleurs, en conformité avec l’article 63 du Code du travail, qui reconnaît aux syndicats la mission de défendre les intérêts économiques, sociaux et professionnels de leurs membres.
Il plaide également pour la reconnaissance de toutes les formes de grève légitimes, y compris la grève de solidarité et la grève tournante, à condition qu’elles respectent les principes d’organisation, de non-violence et de non-entrave à la liberté du travail, en conformité avec l’esprit de la loi organique encadrant ce droit.
Le mémorandum recommande la suppression de la disposition interdisant toute grève à visée politique, suggérant de la reformuler de manière plus nuancée : « Est interdite toute grève poursuivant des objectifs exclusivement politiques. » Le Conseil insiste également sur la nécessité de confier la suspension d’une grève à des instances indépendantes et impartiales, afin d’éviter toute instrumentalisation des notions de crise ou d’état d’urgence à des fins abusives.
Concernant les situations de crise nationale ou de catastrophe, le CNDH souligne l’absence de prise en compte des principes de nécessité et de proportionnalité dans l’encadrement du droit de grève. Il recommande que toute restriction soit temporaire et limitée au strict nécessaire, conformément aux dispositions de la Convention 87 de l’OIT, et qu’elle soit mise en œuvre de manière impartiale et de bonne foi.
Par ailleurs, le Conseil critique la complexité des délais imposés pour l’exercice du droit de grève, estimant que la durée de 30 jours imposée avant toute action collective risque d’entraver le règlement rapide et efficace des conflits du travail. Il propose ainsi de simplifier ces délais en introduisant un cadre temporel unique et raisonnable, sans lourdeur procédurale.
Le Conseil appelle à une harmonisation du projet de loi avec le Code du travail, notamment en ce qui concerne les instances de contrôle et les mécanismes de règlement des conflits collectifs. Il préconise également la suppression des articles imposant la divulgation préalable des dates et lieux des assemblées générales syndicales, estimant que cette exigence porte atteinte à l’autonomie des syndicats et à la confidentialité de leur organisation interne.
Le Conseil national des droits de l’Homme recommande la suppression de l’article 4, qui interdit aux grévistes d’occuper les lieux de travail et prévoit des sanctions financières à l’encontre de ceux qui entraveraient la liberté du travail. Selon le Conseil, cette disposition pourrait être perçue comme une restriction excessive au droit de grève, limitant la capacité des travailleurs à exprimer leurs revendications de manière pacifique et efficace.
De plus, le mémorandum insiste sur le respect du principe de proportionnalité dans l’application du principe « salaire contre travail », veillant à ce que les retenues salariales ne soient pas appliquées de manière abusive, notamment en cas de retard de paiement des salaires ou de restrictions à la liberté syndicale.
En outre, s’agissant du volet pénal, le Conseil prône la suppression des sanctions pénales sévères prévues aux articles 41 et 43, à moins que l’infraction ne soit assortie de violences ou de menaces graves. Il souligne que les sanctions doivent être proportionnées aux actes commis, dans le respect des libertés fondamentales des travailleurs, notamment leur droit d’expression et de rassemblement pacifique.
Ainsi, par cet avis critique, le CNDH se positionne en faveur d’un encadrement du droit de grève plus respectueux des principes démocratiques, garantissant un équilibre entre l’exercice des libertés syndicales et la préservation des intérêts collectifs.