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HACA : 91 % du temps de parole accaparé par les hommes et les femmes toujours marginalisées dans les médias

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Malgré les profondes mutations que connaît le paysage médiatique marocain, la femme demeure reléguée aux marges, qu’elle soit productrice de l’information ou source de celle-ci. Une situation révélatrice d’un déséquilibre structurel persistant, dans un secteur pourtant censé refléter la diversité de la société. C’est ce que souligne la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), qui note que la représentation féminine dans les contenus et programmes d’information au niveau national ne dépasse pas 17,2 %, contre une présence écrasante des hommes à hauteur de plus de 82 %.

Et ce, en dépit de deux décennies d’intégration de l’approche genre dans les politiques publiques et de discours récurrents sur la parité et l’autonomisation des femmes. Le fossé entre les sexes dans les médias d’information demeure béant, et les chiffres en apportent la preuve accablante. Le dernier rapport de la HACA, croisé avec les données du projet international Who Makes the News? (GMMP), met en lumière cette inégalité persistante avec une acuité troublante.

Durant le dernier trimestre de 2024, les femmes n’ont représenté que 18 % des interventions de personnalités publiques dans les journaux télévisés et les magazines de débat sur les chaînes audiovisuelles nationales – un taux stagnant depuis 2010. Ce blocage chronique dans l’accès des femmes aux espaces d’expression médiatique, en tant qu’expertes, actrices politiques ou décideuses, trahit un immobilisme structurel profond.

La situation se dégrade davantage en période électorale, où l’on attendrait au moins un effort symbolique d’équilibre. Or, les élections de 2021 n’ont accordé que 19 % du temps de parole aux femmes – un chiffre identique à celui de 2016 – malgré l’inscription de la parité dans les lois électorales organiques.

Mais le déséquilibre ne s’arrête pas au simple temps d’antenne. Il se creuse dans la substance même du contenu médiatique. Selon les données du GMMP, les femmes n’apparaissent comme sources ou sujets d’actualité qu’à raison de 22 % à la télévision, 18 % dans la presse en ligne, 16 % dans la presse écrite, et seulement 13 % à la radio – cette dernière étant paradoxalement le média supposé le plus proche des réalités citoyennes.

Plus troublant encore : dans le traitement des actualités politiques et de gouvernance (représentant 30 % du contenu informatif global), la représentation féminine chute à un dérisoire 6 %. En revanche, les femmes apparaissent davantage – mais souvent de manière décorative – dans les pages culturelles et artistiques, espaces jugés « non menaçants » pour la virilité symbolique des sphères du pouvoir médiatique.

Et bien que la présence des femmes journalistes dans les rédactions se soit intensifiée, l’analyse du contenu produit révèle une répartition implicite des tâches : aux femmes, les sujets dits « sociaux » ou « juridiques », souvent centrés sur les droits ou les souffrances des femmes ; aux hommes, les dossiers dits « durs » – sécurité, politique, faits divers – même quand les protagonistes sont féminins.

Ce clivage professionnel tacite perpétue des stéréotypes : la femme journaliste reste cantonnée aux causes féminines, tandis que l’homme demeure gardien du sérieux et de l’expertise. De surcroît, la couverture des questions féminines se contente trop souvent d’un traitement superficiel, répétitif, rarement analytique, où les causes structurelles de la violence et de l’exclusion sont peu explorées.

Du côté visuel, la fracture est encore plus flagrante. L’analyse d’un échantillon de photos de presse publiées les 29 septembre 2020 et 10 mars 2025 révèle une nette domination masculine : 71 % des images mettent en scène des hommes, contre seulement 29 % pour les femmes. Et lorsque les visuels montrent une personne seule, 88 % de ces figures sont masculines.

La presse continue ainsi à ériger le visage masculin en norme, reléguant la femme à l’exception, voire à l’invisibilité. Dans des domaines comme le sport, la diplomatie, la science ou la religion, la femme disparaît presque entièrement de l’image médiatique. Seul le champ de la santé montre un léger rééquilibrage.

Autre fait marquant : lorsque des femmes apparaissent dans les nouvelles, elles sont majoritairement désignées comme témoins d’expériences personnelles, victimes, ou représentantes symboliques de groupes sociaux. À l’inverse, les hommes accaparent les rôles de spécialistes, analystes, porte-parole officiels ou acteurs institutionnels.

Et dans 13 % des reportages, l’état civil des femmes est précisé – contre seulement 4 % pour les hommes – traduisant une persistance dans l’assignation de la femme à ses rôles domestiques, même lorsqu’elle intervient dans l’espace public.

Le constat le plus accablant, révélé par le GMMP, réside peut-être dans cette projection : au rythme actuel des progrès, la parité dans les médias d’information au niveau mondial ne sera atteinte qu’en… 2087.

Consciente de ces enjeux, la HACA a lancé, le 29 avril 2025, une vidéo de sensibilisation intitulée : « Représentation des femmes dans les nouvelles au Maroc : Enjeux d’égalité citoyenne et d’inclusion démocratique ».

Ce clip, diffusé principalement via les réseaux sociaux, s’inscrit dans une stratégie visant à promouvoir une culture médiatique fondée sur les droits humains. Il a été présenté lors d’un atelier de réflexion rassemblant des membres du Conseil supérieur de la communication audiovisuelle, des parlementaires, des représentants institutionnels, des journalistes, des responsables éditoriaux de chaînes publiques et privées, ainsi que des experts du numérique et des acteurs de la société civile.

L’événement, dirigé par le directeur général de la HACA, Benaïssa Asloun, a permis une réflexion collective autour des causes du sous-représentation des femmes dans les médias, et a esquissé des pistes concrètes pour une information plus inclusive, équilibrée et respectueuse de la diversité.

Car si l’information est un levier essentiel du fonctionnement démocratique, sa qualité passe inévitablement par une représentation équitable des voix féminines. Tous les participants ont souligné l’urgence de refonder l’imaginaire médiatique pour accompagner les grandes réformes sociales – à commencer par la refonte du Code de la famille.

Latifa Akharbach, présidente de la HACA, a présenté à cette occasion les résultats des deux études menées dans le cadre du GMMP, ainsi que des indicateurs-clés illustrant les déséquilibres persistants dans le traitement de l’image et de la parole féminines dans les médias. Elle a rappelé que la vidéo de sensibilisation récemment lancée constitue une étape supplémentaire vers une régulation médiatique plus ancrée dans les principes de justice et d’égalité.

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