La ville de Fès se réveille sous le choc, meurtrie par l’effondrement de deux immeubles d’habitation dans la nuit de mardi à mercredi. Un drame brutal qui remet au premier plan la question, longtemps éludée, de la sécurité des constructions et des responsabilités partagées entre les différents acteurs du secteur.
Les premières informations indiquent que les bâtiments, érigés il y a près de vingt ans dans le cadre du programme de relogement des habitants des bidonvilles lancé en 2006, auraient subi au fil des années des transformations non encadrées. Plusieurs professionnels évoquent la possibilité d’ajouts de niveaux ou de modifications structurelles effectuées en dehors des plans initiaux, fragilisant ainsi des fondations déjà limitées par la conception d’origine.
Du côté de l’Ordre des architectes, une source assure que les plans validés à l’époque respectaient les normes alors en vigueur. L’ingénierie, rappelle-t-il, repose sur des calculs précis : lorsqu’un bâtiment est pensé pour deux étages, les fondations ne sont dimensionnées que pour cette charge.
Le problème surgit après l’autorisation, lorsque certains habitants s’aventurent à ajouter des pièces ou des étages sans consulter de spécialistes. Ces interventions anarchiques perturbent l’équilibre général de l’édifice et ouvrent la voie à un risque accru d’effondrement.
Pour les ingénieurs civils, la crise dépasse largement la seule dimension technique. La pression démographique, la rareté des logements et la flambée des prix poussent de nombreuses familles à exploiter la moindre surface disponible, souvent sans mesurer les dangers. Toute surcharge ajoutée à une structure conçue pour un poids précis devient alors une menace directe pour les occupants, surtout lorsque s’ajoutent infiltrations d’eau, dégradation des matériaux et entretien insuffisant des colonnes porteuses.
Les acteurs de la société civile, eux, appellent à ne pas traiter ce drame comme un cas isolé. Ils y voient plutôt l’expression d’un déséquilibre urbain installé depuis des années : absence de contrôle rigoureux sur les chantiers, suivi défaillant après l’octroi des autorisations, et tolérance de certaines administrations face aux infractions. Pour eux, l’heure est à l’ouverture d’une enquête exhaustive afin de situer clairement les responsabilités des architectes, entrepreneurs, bureaux d’études et services locaux, et d’appliquer les mécanismes de reddition des comptes sans exception.
Des observateurs rappellent par ailleurs que les deux immeubles effondrés ne sont malheureusement pas des exceptions. Des dizaines de bâtiments présentent des conditions similaires dans plusieurs quartiers anciens ou zones de relogement accéléré, souvent réalisés sans accompagnement technique suffisant. Le Maroc, estiment-ils, a besoin d’une nouvelle politique urbaine qui ne se limite plus au simple octroi de permis, mais qui s’appuie sur un contrôle préventif et continu, soutenu par une base de données nationale des constructions à risque.
Les spécialistes en gouvernance territoriale recommandent d’ailleurs un programme d’urgence : recenser les constructions anciennes ou irrégulières, imposer une évaluation structurelle systématique, et engager sans délai des mesures de consolidation, de rénovation ou d’évacuation lorsque nécessaire. Ils plaident également pour un débat national sur les exigences de sécurité en matière de construction, convaincus que les drames qui se répètent aujourd’hui sont le produit d’années de dépassements bien plus que d’erreurs isolées.
Si l’enquête officielle n’en est qu’à ses prémices, la tragédie de Fès rouvre un débat de fond : celui de la confiance dans les autorisations, de l’intégrité du contrôle et de la responsabilité collective.
Alors que les experts inspectent les immeubles avoisinants, une certitude s’impose déjà : comprendre les causes de l’effondrement est indispensable, mais prévenir le prochain l’est encore davantage. Faire de la sécurité structurelle une priorité absolue n’est plus un choix — c’est une urgence nationale.






