Les Coulisses du Pouvoir : « Abdellatif Hammouchi » le gardien silencieux de l’État marocain

Dans le paysage politique et institutionnel marocain, rares sont les figures aussi discrètes qu’Abdellatif Hammouchi. Peu enclin aux apparitions médiatiques, cet homme à la silhouette sobre et au regard perçant s’est imposé, au fil des années, comme l’un des piliers incontournables de l’appareil sécuritaire national. À la tête de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) et de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), Hammouchi incarne l’autorité tranquille et implacable de celui qui veille, dans l’ombre, à la stabilité du Royaume.

C’est dans la rugueuse région de Taza, au cœur des montagnes du Rif oriental, qu’est né en 1966 celui qui deviendra l’un des hommes les plus puissants du Maroc. Originaire du village de Beni Fthah, au sein d’une famille modeste où le père était agriculteur, Abdellatif Hammouchi a grandi loin des fastes du pouvoir. Cette enfance, marquée par la rigueur des terres rurales et l’humilité d’un quotidien simple, semble avoir façonné son caractère : austère, discipliné, avare de mots et rétif aux projecteurs.

Adolescent studieux, il s’oriente vers le droit public à la Faculté de Dhar Mehraz de Fès, où il décroche une licence, avant de compléter un cursus en sciences politiques. Ses camarades de promotion se souviennent d’un étudiant réservé, mais doté d’une capacité d’analyse hors du commun, capable de déceler des détails invisibles pour les autres. Ce profil prédisposait déjà à une carrière dans les arcanes d’un État qui, à l’époque, cherchait à réformer son appareil sécuritaire, traumatisé par les années de plomb et menacé par une nouvelle donne régionale.

En 1993, il intègre les services de sécurité nationale. Affecté rapidement à la Direction de la Surveillance du Territoire (DST), ancêtre de l’actuelle DGST, il gravit les échelons en raison de son esprit méthodique et de sa rigueur professionnelle. Dans un monde où la loyauté compte autant que la compétence, Hammouchi se distingue par sa capacité à anticiper les menaces et à établir des réseaux de renseignement efficaces.

Le Maroc, au tournant des années 2000, est confronté à la montée de l’islamisme radical et aux prémices d’un terrorisme transnational. L’attentat du 16 mai 2003 à Casablanca, qui fait 45 morts, constitue un choc fondateur. Dans cette tragédie, l’État prend conscience de la nécessité de renforcer drastiquement ses structures de renseignement. Hammouchi devient alors un acteur central de cette refondation.

En décembre 2005, à seulement 39 ans, il est nommé directeur général de la DST. C’est une ascension fulgurante pour un homme de son âge, signe de la confiance directe placée en lui par le souverain. Sa nomination traduit aussi une volonté politique : insuffler du sang neuf dans une institution cruciale, alors que le Maroc doit s’adapter aux nouvelles menaces mondiales.

Dès lors, il impose son style. Contrairement à ses prédécesseurs, souvent plus visibles, Hammouchi s’efface derrière l’efficacité opérationnelle. Peu d’interventions publiques, pas de discours, mais un travail de fond qui place la DGST au rang d’institution respectée, redoutée et courtisée par les partenaires étrangers. Washington, Madrid et Paris louent régulièrement la qualité du renseignement marocain. Des attentats, en Europe comme au Maghreb, auraient été déjoués grâce aux informations transmises par ses services.

En 2015, il franchit une nouvelle étape : il est nommé directeur général de la Sûreté nationale (DGSN), tout en conservant la DGST. Pour la première fois dans l’histoire contemporaine du Maroc, la police et le renseignement intérieur sont confiés au même homme. Ce cumul de responsabilités fait de lui l’un des personnages les plus puissants du pays, capable d’agir à la fois dans la sphère visible de la sécurité publique et dans les coulisses opaques du renseignement.

Sous l’impulsion d’Abdellatif Hammouchi, la Direction générale de la sûreté nationale a engagé un processus de modernisation sans précédent. Les réformes qu’il a initiées traduisent une volonté ferme de transformer en profondeur une institution souvent critiquée pour ses méthodes traditionnelles. De la généralisation de la biométrie à l’introduction de technologies de surveillance de pointe, en passant par le renforcement des bases de données et l’implantation de caméras intelligentes dans les grandes villes, la police marocaine a changé de visage.

La modernisation ne se limite pas aux outils techniques; elle concerne également l’amélioration des conditions sociales et matérielles des policiers, la professionnalisation de leurs pratiques et la création d’unités de proximité destinées à renouer le lien de confiance entre les citoyens et l’appareil sécuritaire. Ce double chantier, à la fois technologique et humain, illustre la méthode Hammouchi : discrète, méthodique et orientée vers l’efficacité.

L’efficacité d’Abdellatif Hammouchi n’a pas tardé à être reconnue au-delà des frontières marocaines. Il s’est vu décerner de prestigieuses distinctions internationales, parmi lesquelles la Grand-Croix de l’Ordre du Mérite de la Garde Civile espagnole en 2019, le grade d’Officier de la Légion d’honneur française, ainsi que plusieurs décorations nationales, dont l’Ordre du Trône.

En 2023, le magazine Africa Report l’a même hissé parmi les cinquante personnalités les plus influentes du continent africain. Toutefois, cette reconnaissance internationale contraste avec les critiques persistantes dont il fait l’objet. Plusieurs ONG, notamment Human Rights Watch et Amnesty International, accusent la DGST et la DGSN d’être impliquées dans des affaires de torture, d’enlèvements et de surveillance abusive.

L’affaire de l’ancien champion de boxe Zakaria Moumni, qui affirme avoir été victime de sévices dans un centre secret, avait déjà provoqué des remous diplomatiques entre Rabat et Paris, où des plaintes avaient été déposées contre Hammouchi. Plus récemment, le scandale Pegasus, logiciel espion attribué à plusieurs services de renseignement, a ravivé les critiques sur un recours jugé disproportionné aux technologies de surveillance.

Figure singulière du paysage marocain, Abdellatif Hammouchi est à la fois respecté et redouté. Dans les chancelleries occidentales, son nom suscite une estime certaine : il incarne le partenaire fiable, celui qui garantit la stabilité d’un Maroc placé au cœur d’une région traversée par des tensions chroniques et des menaces transnationales. À l’intérieur du pays, il demeure pourtant une énigme.

Invisible dans les médias, rétif à toute exposition publique, il n’en est pas moins omniprésent dans les rouages de l’État, où son empreinte se mesure à l’aune des grandes décisions sécuritaires. Ses partisans voient en lui l’architecte d’une modernisation salutaire, le stratège capable d’allier fermeté et efficacité face aux périls. Ses détracteurs, en revanche, y discernent l’incarnation d’un pouvoir tentaculaire, concentré entre les mains d’un homme dont l’action échappe largement aux mécanismes de contrôle démocratique.

À cinquante-neuf ans, Abdellatif Hammouchi demeure l’un des piliers les plus solides du système sécuritaire marocain. Sa trajectoire illustre une conception singulière du pouvoir, où la stabilité du Royaume s’érige sur un subtil équilibre entre visibilité institutionnelle et efficacité silencieuse.

Dans les coulisses du pouvoir, Abdellatif Hammouchi le gardien silencieux de l’État marocain, fidèle au Palais, il a su incarner cette figure de confiance dont la discrétion confine à l’effacement, mais dont l’influence imprègne chaque décision stratégique en matière de sécurité intérieure. Sa trajectoire, de la rudesse des terres de Taza aux plus hautes fonctions de la DGST et de la DGSN, illustre une ascension où la discrétion se conjugue à l’efficacité, et où la loyauté envers le Palais devient un principe cardinal.

Au cœur d’un Maroc exposé aux bouleversements régionaux et aux menaces globales, il reste l’homme de l’ombre par excellence, celui qui veille, en coulisses, à la continuité de l’ordre et à la préservation des intérêts supérieurs de l’État. En cela, Abdellatif Hammouchi incarne à la fois la face invisible et indispensable de l’autorité publique : un pouvoir qui ne s’affiche pas, mais qui tient fermement les clés de la stabilité du Maroc contemporain.

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