Aziz Akhannouch, figure incontournable de la scène politique et économique marocaine, incarne un parcours singulier qui l’a mené des reliefs escarpés du Souss aux arcanes de l’État. Né à Tafraout, dans une famille amazighe profondément enracinée dans son territoire, il a grandi au cœur d’une culture marquée par le sens du travail, la solidarité communautaire et l’attachement aux valeurs traditionnelles. Très tôt, ce socle identitaire l’a façonné et continue de nourrir sa vision de l’action publique.
Après un passage marquant à l’Université de Sherbrooke, au Québec, où il a étudié le management et l’économie, Akhannouch revient au Maroc armé d’une conviction : moderniser sans renier ses racines. À son retour, il s’implique activement dans l’entreprise familiale Akwa Group, devenue rapidement l’un des piliers du secteur de l’énergie et de la distribution dans le pays. Chiffres à l’appui, Akwa s’est imposée avec un chiffre d’affaires de plusieurs milliards de dirhams et un portefeuille diversifié allant des hydrocarbures aux médias, en passant par l’hôtellerie et l’immobilier.
Son entrée en politique ne fut pas le fruit du hasard, mais l’aboutissement logique d’un ancrage économique solide et d’une ambition régionale assumée. Dès la fin des années 1990, Akhannouch commence à s’investir dans la gestion publique à travers le conseil régional de Souss-Massa, où il mise sur l’attractivité de la région et la modernisation des infrastructures. Ce passage marque ses premiers pas dans la construction d’un profil d’« homme de terrain », capable de relier les réalités locales aux grands enjeux nationaux.
Son accession au gouvernement en 2007, comme ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime, a constitué un tournant majeur. Sous sa houlette, le Plan Maroc Vert voit le jour en 2008 : un programme de transformation agricole sans précédent, destiné à faire du Maroc une puissance agro-exportatrice. Les résultats sont visibles : amélioration des exportations d’agrumes et d’olives, développement de l’agro-industrie, et création de nouvelles coopératives agricoles. Mais le programme a aussi nourri les critiques : les petits agriculteurs ont souvent dénoncé leur marginalisation, les aides étant jugées profitant surtout aux grandes exploitations.
Parallèlement, Akhannouch s’est imposé comme un acteur incontournable du développement rural : extension des réseaux d’irrigation, soutien à la mécanisation agricole et encouragement à l’investissement privé dans les zones rurales. Cependant, les sécheresses successives ont révélé les limites du modèle, mettant en lumière une dépendance persistante aux aléas climatiques.
Son parcours ministériel illustre aussi sa capacité à traverser les turbulences politiques : membre du RNI, il a su maintenir sa place au gouvernement à travers plusieurs remaniements, gagnant la réputation d’un ministre « inamovible ». Cette longévité, rare dans le paysage politique marocain, alimente à la fois l’image d’un gestionnaire efficace et celle d’un homme d’affaires bénéficiant d’appuis solides au sommet de l’État.

À la tête du Rassemblement National des Indépendants (RNI), Akhannouch a transformé le parti en une machine électorale redoutable, misant sur la proximité avec les citoyens, l’écoute des jeunes et des campagnes de communication innovantes. Sa victoire aux législatives de 2021 lui a ouvert les portes de la primature, où il s’est engagé sur des dossiers sensibles : généralisation de la couverture sociale, relance économique post-Covid et promotion de l’emploi des jeunes diplômés.
Le parcours d’Akhannouch s’inscrit aussi dans une trame plus large de réseaux de pouvoir. Sa proximité avec la monarchie lui confère une légitimité forte, mais aussi des responsabilités accrues. Les cercles d’affaires, les notables amazighs et les élites du Souss constituent ses soutiens traditionnels, renforçant son poids politique. En revanche, il suscite des réserves au sein de l’opposition, qui dénonce une concentration de richesses et de pouvoir jugée problématique pour la démocratie.
Homme d’affaires devenu chef de gouvernement, Akhannouch a toujours été au centre de polémiques. Ses détracteurs pointent du doigt une confusion entre intérêts publics et privés, particulièrement dans la gestion du secteur des hydrocarbures où son groupe, Akwa, occupe une position dominante. Le rapport parlementaire sur la libéralisation des prix du carburant a ravivé les soupçons d’enrichissement des grandes compagnies au détriment des consommateurs, donnant naissance à la campagne citoyenne « #DégageAkwa » et aux appels au boycott de 2018, qui ont durablement marqué son image.
Les hausses successives des prix depuis son arrivée à la primature, dans un contexte de crise mondiale et d’inflation, ont accentué la colère sociale. Plusieurs syndicats et associations accusent son gouvernement d’inaction face à la détresse des classes moyennes et populaires, alors même que les marges bénéficiaires des sociétés de distribution de carburants étaient jugées excessives.
Au-delà de la question économique, Akhannouch est critiqué pour son style de gouvernance jugé vertical et technocratique, éloigné des réalités quotidiennes des citoyens. Ses rares apparitions médiatiques, souvent préparées, renforcent l’image d’un chef de gouvernement distant, contrastant avec la proximité affichée lors de sa campagne électorale.
Sur le plan politique, l’opposition l’accuse de vouloir transformer le RNI en une « machine électorale hégémonique », au détriment du pluralisme partisan. Certains observateurs vont plus loin en évoquant un risque d’oligarchisation du pouvoir, où le poids économique et financier se traduit en influence politique disproportionnée.
En outre, sur le plan social, sa gestion des dossiers sensibles – comme les grèves des enseignants, la colère des étudiants en médecine ou les revendications des syndicats – est perçue comme hésitante, voire déconnectée. Cette accumulation de tensions alimente un climat de méfiance, où la réussite ou l’échec d’Akhannouch ne se mesure plus seulement en termes économiques, mais surtout à sa capacité à restaurer la confiance citoyenne.
En revanche, et malgré les critiques persistantes et les tensions sociales, le mandat d’Aziz Akhannouch s’est également distingué par la réalisation de projets d’envergure qui ont marqué les premières années de son gouvernement. Sous son impulsion, le Maroc a lancé des investissements majeurs dans les infrastructures routières et ferroviaires, accéléré la construction de la voie express Tiznit-Dakhla et consolidé le réseau autoroutier national.
Sur le plan social, son gouvernement a concrétisé la généralisation de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) et déployé le Registre Social Unifié (RSU), apportant un soutien direct à des millions de familles vulnérables. Parallèlement, de vastes programmes dans les énergies renouvelables et l’hydrogène vert ont été lancés, confirmant l’ambition du Maroc de devenir un acteur stratégique dans la transition énergétique mondiale. Ces réalisations traduisent la volonté du chef de l’Exécutif de laisser une empreinte durable, en dépit des polémiques qui entourent son style de gouvernance.
L’avenir politique d’Aziz Akhannouch reste suspendu à plusieurs défis majeurs :
- Social : apaiser le mécontentement lié au coût de la vie et répondre aux aspirations de la jeunesse.
- Économique : réussir la transition énergétique, attirer davantage d’investissements et réduire le chômage.
- Climatique : gérer les effets de la sécheresse persistante et garantir la souveraineté alimentaire.
- Diplomatique : consolider le rôle du Maroc sur la scène africaine et internationale, où il apparaît comme un acteur stratégique entre l’Europe et l’Afrique.
Aziz Akhannouch est à la croisée des chemins. Entrepreneur devenu homme d’État, il incarne à la fois la modernité d’un Maroc ouvert sur le monde et la permanence d’un pays où les ancrages régionaux et culturels demeurent essentiels. Ses partisans y voient un bâtisseur et un stratège ; ses détracteurs, un symbole de l’oligarchie politico-économique. Entre ces deux visions, son mandat à la primature constitue un véritable test pour mesurer sa capacité à concilier intérêts privés et bien commun.
Dans les coulisses du pouvoir, loin des images léchées des campagnes médiatiques et des discours officiels, Aziz Akhannouch s’impose comme un stratège pragmatique qui orchestre ses décisions avec une équipe resserrée de conseillers et d’alliés fidèles. Derrière la façade d’un chef de gouvernement technocrate et réservé, se cache un homme attentif aux équilibres du pouvoir, soucieux de préserver à la fois la confiance du Palais et le soutien de ses réseaux économiques. Ses réseaux, tissés du Souss jusqu’aux sphères les plus hautes de l’État, lui assurent un ancrage solide, mais son avenir politique dépendra de sa capacité à transformer ses promesses en résultats tangibles pour les citoyens.






